Et si la forêt comestible n’était pas seulement un rêve de jardinier·ère passionné·e, mais un modèle agricole à part entière ? À Schijndel, aux Pays-Bas, c’est exactement ce qu’expérimente depuis 2019 la Fondation Voedselbosbouw Nederland sur une parcelle de 20 hectares. L’ambition : prouver qu’une forêt comestible peut être rentable, productive et écologiquement vertueuse.
Une réponse agricole aux défis du XXIe siècle
Le projet de Schijndel ne vise pas la pédagogie ou la démonstration esthétique, mais bel et bien la production alimentaire professionnelle. En s’appuyant sur la Green Deal Voedselbossen signée aux Pays-Bas en 2017, il s’inscrit dans un cadre stratégique national visant à faire émerger une agroforesterie de nouvelle génération, régénérative, économiquement viable et à haute valeur écologique.
Qu’est-ce que la Green Deal Voedselbossen ?Lancée en 2017 aux Pays-Bas, cette « convention verte » réunit institutions publiques, scientifiques, entreprises et porteurs de projets autour d’un objectif commun : soutenir l’émergence des forêts comestibles comme modèle agricole reconnu. Elle facilite l’accès aux terres agricoles, finance des projets pilotes, structure la recherche scientifique et contribue à intégrer les forêts comestibles dans les politiques agricoles nationales. Grâce à elle, des sites comme celui de Schijndel peuvent voir le jour dans des conditions favorables à leur déploiement à plus grande échelle.
Sur des terres agricoles précédemment dédiées au maïs ou au ray-grass, la reconversion est radicale : l’installation d’un écosystème forestier productif, conçu selon les principes de la succession écologique et du biomimétisme. La forêt comestible devient ainsi un agroécosystème planifié, aux fonctions multiples : production alimentaire, accueil de biodiversité, stockage de carbone, résilience climatique, et même loisirs ou formation.
Un design rigoureux et une logique économique intégrée
L’implantation repose sur une approche rationnelle :
- analyse fine des sols et des microclimats,
- aménagements topographiques favorisant la diversité des biotopes (greffons, buttes, haies, poches humides),
- plantation de strates variées, mêlant climax species comme le noyer ou le châtaignier, et pionnières à croissance rapide (aulnes, saules),
- intégration d’essences comestibles à valeur ajoutée élevée (cassis, kiwiberry, ail des ours, prunier, pommier).
La planification prévoit une montée en puissance progressive, avec une atteinte de la rentabilité vers l’an 7 et une maturité économique complète au bout de 30 à 40 ans. Des modèles de « standard hectare » sont utilisés pour simuler les rendements, répartir les cultures, et maximiser l’efficience du système. Le tout, sans usage d’intrants chimiques ni mécanisation lourde.
Consulter le design sur le site web de Voedselbos Schijndel
Une vision à long terme, soutenue par les chiffres
Le projet est soutenu par des partenariats solides :
- la province du Brabant, propriétaire des terres, met à disposition les terrains via un bail de 20 ans,
- le GOB (Groen Ontwikkelfonds Brabant) finance les aménagements structurels et le plantage initial,
- la HAS Hogeschool accompagne la recherche et le suivi scientifique (biodiversité, rentabilité, captation carbone).
Les projections financières confirment la rentabilité potentielle à long terme :
- première année excédentaire en année 7 (2024),
- retour sur investissement complet en année 14,
- accroissement progressif des rendements jusqu’en 2049 et au-delà.
Mais en pratique, le projet a connu quelques ajustements. En 2024, la plantation est achevée à environ 75 %, principalement sur le site de Hardekamp. Le reste est en cours de réalisation, avec des chantiers participatifs et des plantations prévues jusqu’en 2026. Ce léger décalage est dû à des contraintes techniques, climatiques et logistiques — mais ne remet pas en cause la dynamique de fond.
Les produits sont valorisés en circuits courts ou transformés (jus, compotes, tisanes, huiles, etc.). Une part de la production pourrait aussi être dédiée à l’expérimentation, à la pédagogie ou à la recherche appliquée.
Une mosaïque de paysages fonctionnels
À Schijndel, deux sites sont concernés : Boschweg (4 ha) et Hardekamp (16 ha), tous deux bordés de zones naturelles. Le design s’appuie sur des principes de paysage comestible :
- haies variées offrant ombrage, biodiversité et protection contre le vent,
- zones humides favorables à l’accueil d’amphibiens et d’insectes utiles,
- strates multiples avec au moins 4 couches végétales (arbres de canopée, arbres fruitiers, buissons, couvre-sols),
- succession naturelle et non-intervention (pas de tonte ni de désherbage mécanique).
Cette diversité structurelle est un levier pour la biodiversité : pollinisateurs, oiseaux, petits mammifères et champignons trouvent refuge et nourriture dans cet environnement semi-sauvage et productif.
Un laboratoire vivant pour l’agriculture régénérative
Schijndel est plus qu’un projet de terrain : c’est un site pilote pour une nouvelle vision de l’agriculture, à la croisée de la science, de la pratique et de la pédagogie. Des étudiants, chercheurs, bénévoles et paysan·ne·s y sont associés dans une logique de co-création de connaissances.
C’est aussi un projet profondément stratégique : démontrer qu’il est possible de réconcilier production alimentaire et restauration écologique, de répondre aux enjeux économiques et sociaux en s’appuyant sur des dynamiques naturelles, plutôt qu’en les combattant.
Suis-nous en vidéo à Schijndel (avril 2025), dans cette vidéo publiée par Arbuste Fruitier
Pour aller plus loin
- Site web officiel - Voedselbos Schijndel
- Projectplan Voedselbos Schijndel (2018)
- “In het grootste voedselbos van Europa komen landbouw en natuur samen” - Klimaatadaptatie Provincie Noord-Brabant, 2024
Article publié par Semisto 14 juin 2025
Co-auteurs
Photo d’en-tête
Jeune nashi en fleurs à Schijndel (avril 2025)
Table des matières